top of page

En Égypte, peut-on parler de "démocrature" ?

Dernière mise à jour : 6 déc. 2023

L’Egypte est un pays en voie de développement, à la frontière entre l’Afrique et le Moyen-Orient. À première vue, ce pays semble démocratique, des élections sont organisées et les citoyens conservent une liberté. Néanmoins, on se rend compte rapidement que cela n’est qu’une apparence. Pouvons-nous alors parler de “démocrature” ? Ce néologisme décrit les Etats dont le système d'élection est démocratique mais où l'exercice du pouvoir est dictatorial. De retour d’Egypte, voici une description de la situation du pays.

ree
Le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi, entouré de haut-gradés de l'armée.

Le dirigeant égyptien, Abdel-Fattah al-Sissi, est au pouvoir depuis maintenant plus de 10 ans. Il était arrivé à la tête du pays en 2013, arrachant le pouvoir aux frères musulmans, à la suite d’une grande révolution nationale.

En 2013, Sissi se présente en sauveur dans le peuple pour lutter contre la menace des frères musulmans. En tant que ministre de la Défense, il s’oppose au premier président démocratiquement élu Mohamed Morsi, qui incarne la menace islamistes à la tête de l’Etat. Il prend donc le pouvoir par la force. Toutes les manifestations sont violemment réprimées en août 2013, avec un bilan d'au moins 638 morts, qualifié de « plus grand massacre de l'histoire moderne de l'Égypte » par l’ONG Human Rights Watch.

Sissi met en place immédiatement l'état d'urgence, et les Frères musulmans sont déclarés « organisation terroriste ». En 2014, des élections présidentielles avaient été organisées pour confirmer Sissi à la présidence égyptienne, les Égyptiens avaient préféré choisir la sécurité plutôt que de voir revenir un régime violent rester en place même si cela nuit aux libertés individuelles.

De nombreux experts et observateurs soulignent dès lors la régression des libertés individuelles et le recours fréquent à l'emprisonnement comme moyen de gouvernance. Critiquer le pouvoir de Sissi ou de l'armée expose à des risques, et le pays fonctionne ainsi depuis dix ans, avec l'utilisation systématique de l'incarcération comme principal outil de contrôle. Aucun processus légal n’encadre les moyens utilisés par les autorités.


Dans les rues, sur les routes, la police et l’armée sont partout, préparées et équipées, prêts à faire face à n’importe quelles menaces. Cet aspect, étonnant et troublant, retient notre attention et met naturellement en garde sur les politiques de l’Etat. Lorsque que l’on voit ces installations militaires en nombre, on imagine que les autorités se méfient, comme si, du jour au lendemain, une révolution civile allait advenir. Les autorités ne prennent aucun risque pour protéger leur pouvoir face à tous troubles à l’ordre public, la population égyptienne tout comme les touristes sont surveillés de très près.

Aussi, les médias sont contrôlés, seuls Mada Masr tente de rester indépendant pour dénoncer en toute liberté les exactions menées par l’Etat égyptien, un risque important dans ce régime. De nombreux habitants déplorent des conditions pires que sous la présidence de Moubarak, renversé en 2011. Cependant, pour rassurer le peuple, les autorités dirigeantes de l’Egypte mettent en place d’immenses campagne de propagande et souhaite souligner les avancées liées à Sissi. Dans les rues, le culte de la personnalité, caractéristique typique d’une dictature, est bien visible. Sur tous les bâtiments et sur tous les affichages, le président Sissi apparaît souriant. Cette présence est pesante et se fait ressentir.

ree
Au souk d'Aswan, Sissi est partout.

C'est d’ailleurs une communication qui a un effet direct sur la population. Interrogée sur les actions menées par le président Sissi, Shérine, habitante du Caire, nous répond avec ironie : “depuis 10 ans, il a construit des ponts”. Néanmoins, elle est en incapacité de nous décrire plus précisément les politiques publiques du président, elle affirme simplement qu’il est très bon et bien meilleur que tous ses prédécesseurs.

"Depuis 10 ans, il a construit des ponts", décrit une habitante du Caire.

Cela met en avant de réels enjeux vis-à-vis des élections présidentielles qui se tiendront les 10 et 12 décembre 2023. Alors que le pays connaît diverses crises, notamment économiques avec une inflation en 2023 qui dépasse les 21 %, cet événement politique majeur semble être joué d’avance. Aucune opposition concrète n’a pu s’installer, confortant ainsi la réélection de Sissi à la tête de l’état égyptien. En effet, l’exécutif a usé de stratégies pour empêcher les opposants de parvenir à se présenter au scrutin. Ils ont été visés par des condamnations et des tentatives d'intimidation, suscitant des inquiétudes quant à la liberté d'expression et d’opinion dans le pays. C'est par exemple le cas de l’un des principaux rivaux de Sissi, l’éditeur Hisham Kassem, qui a été condamné en septembre 2023 à six mois de prison. Dans le même temps, Ahmed al-Tantawi, figure de l’opposition, peine à récolter les signatures nécessaires à sa candidature depuis le mois d’août.


Le 5 octobre dernier, une résolution de l'Union européenne a été adoptée par le Parlement à Strasbourg. Les eurodéputés qui ont voté ce texte mettent en avant leurs inquiétudes concernant l’état des libertés en Egypte, et ils appellent, à l’approche des élections, à la libération des principaux opposants politiques pour garantir un processus démocratique. Les réactions internationales se font rares et cette résolution vise à mettre en lumière la réalité vécu par plus de 109 millions d'Egyptiens.



Néanmoins, l'ensemble de ces enjeux politiques n’empêchent pas l’Egypte de vivre pleinement de son tourisme. Les voyageurs affluent du monde entier pour découvrir les richesses du pays sans se méfier des affaires internes du pays. Cela représente une source de revenus conséquente pour l’état puisque plus de 5% des recettes du pays sont liées au tourisme. Il est donc important de noter que l’Egypte reste un pays ouvert au monde, qui n’adopte pas le comportement dictatorial de la fermeture complète, tel que le pratique la Corée du Nord.

Au contraire d’ailleurs, puisque l’Egypte rejoindra à partir du 1er janvier 2024 les BRICS, regroupement de pays à fort potentiel économique, qui commence à s’élargir. Cela marque la volonté du pays, malgré des dérives internes de s’intégrer encore et toujours mieux dans l’espace mondialisé.


L'Égypte, sous la présidence d'Abdel-Fattah al-Sissi, affiche une dualité entre des apparences démocratiques et des pratiques autoritaires persistantes. Malgré les préoccupations internationales, les prochaines élections semblent prédire une réélection prévisible du candidat sortant. Les défis internes, coexistent avec une économie fragile, dépendante du tourisme et qui désire s’ouvrir sur le monde. En somme, l'Égypte navigue entre ces tensions, son avenir dépendant de sa capacité à concilier ces forces contradictoires.

Sources : Ouest France , TV5 Monde , Courrier International , Jeune Afrique , Le Soir

Posts récents

Voir tout

1 commentaire


Noé Renard
Noé Renard
10 janv. 2024

Le 18 décembre 2023, le Président Abdel-Fattah al-Sissi a été réélu avec 89,6 % des suffrages.

J'aime
bottom of page