La désinformation dans les sociétés actuelles
- Noé Renard
- 13 mai 2023
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mai 2023
La désinformation est une des conséquences de la médiatisation. En effet, dans la société actuelle, le monde est de plus en plus connecté grâce notamment aux réseaux sociaux et à Internet. Par exemple, les entreprises utilisent ces moyens pour promouvoir leur produit et attirer de nouvelles personnes. Avec le web, n’importe qui peut trouver n’importe quoi. Toutes ces connexions peuvent néanmoins être dangereuses. Effectivement, certaines personnes peuvent se servir de cette connexion pour faire circuler de fausses informations et ainsi de délibérément nuire à une personne, un groupe social, une organisation ou un pays, c’est cela que l’on appelle la désinformation.

Ce moyen d’influence touche une très large catégorie de personnes. Cependant, le débat sur la désinformation se focalise souvent sur les jeunes lecteurs, qui en seraient les premières victimes.
« Il faut former les citoyens, et notamment les plus jeunes, pour les aider à reconnaître les fausses informations, à les appréhender, à s’en protéger »
insistait, par exemple, à l’été 2018 Françoise Nyssen, à l’époque Ministre de la Culture lors d’un débat sur la loi relative à la lutte contre à la désinformation. Pourtant, les jeunes ne semblent pas être des cibles privilégiées pour les sites les moins fiables. Les 15-24 ans, par exemple, représentaient en avril 2021 environ 13,7 % de l’ensemble des internautes, 13 % des lecteurs des sites traditionnels et 16,1 % du lectorat des sites classés « rouge » dans le Décodex, un outil du Monde qui permet d’analyser les informations. Si une tranche d’âge se distingue par son appétence pour les sources douteuses, il s’agirait en fait plutôt celle des 25 à 49 ans. Elle lit volontiers les sites traditionnels, mais est surreprésentée parmi les visiteurs de sites classés « rouge » et « orange » dans le Décodex. Les 25-49 ans, par exemple, représentent 22,1 % des internautes et 32,7 % des lecteurs de sites peu fiables.

À l’inverse des jeunes, les personnes âgées sont surreprésentées dans le lectorat des principaux médias d’actualité, mais moins nombreuses à consulter des sites moins conventionnels. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles sont complètement insensibles à la désinformation en ligne. Les plus de 65 ans sont les plus susceptibles de partager des articles erronés sur Facebook, estimait une étude publiée dans la revue Science Advances en 2019. Un autre point notable : les classes sociales les plus favorisées ne sont pas vaccinées contre la désinformation, loin s’en faut. Les cadres, dirigeants, professions libérales… qui sont des profils identifiés par Médiamétrie comme relevant des catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP +), sont nombreux à lire les sites traditionnels, mais ils sont surtout plus nombreux que les autres catégories dans le lectorat des sources « rouge » et « orange ». Leur profil de consultation des sites d’information n’est, finalement, pas très différent de ce qu’on observe parmi les catégories sociales moins privilégiées (CSP –).
La désinformation est également une grande source de coût. Selon une étude publiée en 2019 par la société israélienne de cybersécurité CHEQ et l’Université de Baltimore, les fausses informations coûtent plus de 78 milliards de dollars par an à l’économie mondiale. Les conséquences ne s’arrêtent pas là. La santé est également impactée. Récemment, des chercheurs de l’université d’East Anglia, au Royaume-Uni, ont montré que les fausses informations sur la Covid-19 tendaient à circuler plus rapidement que les vraies et à aggraver l’épidémie, en générant des comportements à risques. Dans un discours prononcé le 27 mars 2020, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres a montré son inquiétude face à ce phénomène : « Notre ennemi commun est la Covid-19, mais notre ennemi est aussi une infodémie de désinformation. » Il a appelé à « promouvoir les faits et la science, l’espoir et la solidarité au détriment du désespoir et de la division ». La désinformation peut également exacerber des divisions socioculturelles en jouant sur les tensions ethniques, raciales, religieuses et nationalistes. On peut citer l’exemple donné en 2017 par la chercheuse américaine Samantha Stanley. Une émeute a été causée par une foule de 500 personnes au Myanmar (Birmanie) à la suite de la publication sur Facebook d’une rumeur selon laquelle le propriétaire musulman d’une boutique de thé aurait violé une employée bouddhiste, accusation qui s’est avérée fausse. Deux personnes ont été tuées lors de ce désastreux événement. La désinformation peut mener à des actions violentes. Comme le souligne Divina Frau-Meigs, professeure à l’Université Paris III est en science de l’information et de la communication, dans une interview pour Le Monde datant du 8 mars 2018,
« l’effet le plus grave de la diffusion massive du faux, c’est de répandre un doute généralisé sur l’information, les institutions démocratiques, les savoirs scientifiques… Si tout est faux, la science aussi, on en voit le résultat avec les débats sur la vaccination ou le climat. Ne plus pouvoir faire confiance à une information vraie génère une atmosphère malsaine, susceptible d’empêcher tout projet démocratique qui suppose une confiance ».
Pour pouvoir lutter contre la désinformation, ou plus communément les fakes news, l’Etat français, l’Union européenne ou encore le G7 ont décidé de durcir leurs mesures contre cette menace. La France, tout d’abord a lancé le projet CONFIRMA (Contre argumentation contre les fausses informations) qui contribue à lutter contre la désinformation en s’attaquant à la fois à sa création, à sa diffusion et aux meilleures stratégies de riposte. Ce logiciel a approfondi, et complété les résultats d’un projet qui consistait à identifier de façon automatisée les fausses informations et les rumeurs sur Internet.

CONFIRMA intervient dans un contexte où la désinformation prend de l’ampleur à cause notamment du développement des réseaux sociaux. Une étude publiée en 2019 montrait qu’en un an le nombre de tweets ayant relayé une fausse information était passé de 35,5 à 45,5 millions. La désinformation perturbe le débat démocratique et est un instrument de déstabilisation, voire offensif d’ores et déjà utilisé par des états hostiles. Dans tous les cas, il s’agit d’une menace qu’il convient de connaître et de surveiller afin de l’anticiper et de la contrer. Dans son objectif de lutte contre la désinformation, CONFIRMA a permis de mieux caractériser la désinformation en proposant des analyses plus fines pour mieux comprendre l´origine de la désinformation et mieux identifier les réseaux d'acteurs qui la propagent. La technologie développée lors du projet CONFIRMA est notamment utilisée depuis 2019 par le ministère des Armées, le ministère de l'Intérieur, l'OTAN et Security and Freedom for Europe (SAFE). Sachant que la base de données de CONFIRMA contient plus de deux millions de sources indexées en plus de 35 langues, ce logiciel a une couverture mondiale. La Commission européenne, quant à elle, a présenté en décembre 2020 un plan d'action pour la démocratie européenne prévoyant un durcissement de la lutte contre la désinformation, un encadrement des publicités politiques et une plus grande protection des médias. L'exécutif européen veut actualiser l'arsenal juridique de l'Union européenne face au manque de transparence des partis politiques, aux menaces contre la presse et aux interférences de grandes puissances étrangères dans les démocraties européennes, menées en particulier par la Russie et la Chine. La Commission invite les États européens à imposer des sanctions financières aux auteurs. Elle va également renforcer son code de bonnes pratiques contre la désinformation lancé en 2018, auquel participent plusieurs plateformes numériques comme Google, Facebook, Twitter, Microsoft ou TikTok). À cela, s’est ajouté récemment, l’interdiction à tout le personnel de la Commission ou du Parlement européen, élus inclus, de posséder TikTok sur leurs smartphones professionnels. Une mesure qui suit un élan mondial de remise en cause des réseaux sociaux. Le PDG de TikTok, Shou Zi Chew, a par exemple été interrogé par le Congrès Américain.

La Russie et la Chine ont multiplié les campagnes de désinformation durant la pandémie de coronavirus visant à affaiblir la confiance des Européens. La cellule StratCom de l'UE a identifié plus de 500 cas de désinformation sur le Covid-19 provenant de médias proches du Kremlin, et répertoriés dans sa base de données qui contient plus de 10.000 exemples de désinformation pro-Kremlin. La Commission a proposé au troisième trimestre 2021 une législation sur la transparence des publicités politiques. Ce plan prévoyait également une plus grande protection des journalistes, qui selon la vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence, Věra Jourová, "font l'objet d'attaques en ligne" et de menaces croissantes lors des manifestations. La question a également été abordée au G7 lors d’une réunion des chefs de la diplomatie du G7, qui se tenait à Londres du lundi 3 au mercredi 5 mai 2021. « Nous voulons que le G7 s’unisse avec un mécanisme de réfutation rapide afin que, lorsque nous voyons ces mensonges, cette propagande ou ces fausses nouvelles diffusés, nous puissions apporter un démenti et rétablir la vérité, pour les gens de ce pays, mais aussi en Russie ou en Chine et dans le monde entier », avait déclaré le chef de la diplomatie britannique d’alors à des journalistes. Plus récemment, une étude qui avait été financée par le ministère britannique des Affaires étrangères a mis en évidence que des pro-russes publient des commentaires malveillants sur les sites internet de journaux britanniques pour donner l’impression que le public soutient l’agression russe contre l’Ukraine. Ils sont ensuite utilisés par les médias d’Etat russes pour faire croire que l’opinion britannique soutient Moscou, selon le journal, qui affirme que le même procédé est utilisé à l’encontre de médias de 14 autres pays, dont certains membres du G7 comme la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et les Etats-Unis. Tout cela s’inscrit dans un grand élan de propagande soutenue par le pouvoir russe directement. Cette étude est suivie lors des réunions des ministres des Affaires étrangères du G7, maintenant très orientées au sujet du conflit russo-ukrainien. En 2021, le gouvernement britannique se disait déjà « gravement préoccupé par la tendance de l’Etat russe à adopter une attitude malveillante ». Il investit d’ailleurs 8 millions de livres sterling annuellement pour financer les projets de la BBC, de lutte contre la désinformation. Ces dernières années, la désinformation a également mis le journalisme sous le feu des projecteurs. En effet, une série de facteurs transforment le paysage de la communication, soulevant des questions sur la qualité, l'impact et la crédibilité du journalisme. Cependant, les journalistes ne sont pas les seuls fautifs. Comme l’exemple de la Russie, certaines personnalités politiques se servent de la désinformation à des fins politiques.

C'est par exemple le cas de Donald Trump. Une des premières études d’ampleur menée sur la propagation d’informations erronées sur le Covid-19 par les médias fut publiée en octobre 2020. Cette dernière indique très clairement que l'ex-président américain est la principale source de désinformation liée à l’épidémie. Les propos de ce Président sont à l'origine de 37,9 % de tous les articles véhiculant des rumeurs infondées sur la maladie, ont découvert les chercheurs auteurs de l’étude, qui ont analysé 38 millions d'articles anglophones dans le monde, publiés entre janvier et fin mai 2020. C'est bien plus que toutes les autres sources et amplificateurs de fakes news combinées. En voici les circonstances. La machine médiatique a commencé à propager des informations erronées à propos du Covid-19 vers le 22 avril 2020. Ce jour-là Donald Trump avait suggéré, lors d'un point presse, d'utiliser les rayons UV ou de s'injecter du désinfectant pour lutter contre le coronavirus. Des soi-disant conseils qui avaient suscité la consternation de la communauté scientifique et, surtout, entraîné la publication de plus de 30 000 articles consacrés à cette sortie présidentielle en une seule journée. On retrouve près de 300 000 articles concernant des prétendus remèdes au Covid-19. Donald Trump a aussi vanté à foison les bienfaits de l'hydroxychloroquine, alors qu'aucune étude n'était venue attester de l'efficacité de ce remède très controversé, néanmoins promu par le microbiologiste français Didier Raoult contre la Covid-19. Pour le président, vanter les mérites de ces traitements "imaginaires" remplit deux objectifs politiques très précis, estime le Washington Post. Ce stratagème vise à minimiser le danger d'un virus qu'il a été accusé de ne pas prendre suffisamment au sérieux, et il donne aussi l'impression que le gouvernement travaille dur à trouver des "solutions". Mais ce type d’exploitation politique de fausses informations a des effets secondaires dangereux, rappelle les auteurs de l'étude. Elle participe à ce que l'Organisation mondiale de la Santé a appelé “l'infodémie” (la circulation virale des rumeurs) qui complique la lutte contre la pandémie, car “les gens qui sont induits en erreur par cette désinformation sont plus susceptibles de ne pas suivre les consignes officielles et de favoriser la propagation du virus", souligne Sarah Evanega, directrice de la Cornell Alliance for science et auteure principale de l'étude. Certains médias relayent alors de fausses informations sans les vérifier. Un constat qui suggère que "les lecteurs sont exposés à une importante quantité d'informations erronées qui ne sont pas remises en cause par les médias qui s'en font l'écho", note l'étude. Une complicité passive qui, elle aussi, à des conséquences bien réelles sur le comportement des individus face au virus.

Un autre grand facteur de désinformation, la prétendue “liberté d’expression”. Celle-ci est par exemple mise en avant par Elon Musk. Ce très riche homme d’affaire, qui vient de racheter Twitter, un réseau social réputé pour les fakes news qu’il diffuse, a permis à de nombreuses personnalités contestées de retrouver leurs profils sur le réseau. Par exemple Donald Trump, a fait son retour sur l’application avec de nombreux autres utilisateurs restreints. Ces personnes sont des facteurs de production et de diffusion des fausses informations. On peut affirmer que trop de liberté d’expression peut être la source de désinformation, et des problèmes qui en découlent.
Aussi, en 2022, avec l’apparition des intelligences artificielles sur toutes les plateformes web, les informations sont de plus en plus relayées et de moins en moins vérifiées. En effet, ces systèmes se basent sur des données présentes sur le net pour générer des articles, des images, … et sont ainsi susceptibles de diffuser des fausses informations. N’importe qui peut également demander à ces intelligences de créer une information, une image, comme cela a été le cas récemment avec des photos du Président E. Macron ou du Pape François complétement fausses. Un photojournaliste norvégien a par exemple réalisé un reportage entier sur la ville de Vélès en Macédoine à l’aide fausses images, générées par intelligence artificielle. Ce dernier s’appelle Jonas Bendiksen et il voulait démontrer que la capacité de générer des documents n’a jamais été aussi facile, mais rend la lutte contre la désinformation de plus en plus difficile. Ainsi, “à notre époque où le faux va plus vite, plus loin que le vrai”, comme l’a conclu un trio de chercheur du MIT Media Lab, la désinformation est une véritable menace démocratique, économique et sociale. En effet, nous sommes tous les jours, sans le savoir, confrontés à ces informations frauduleuses. Nous devons donc redoubler d’esprit critique pour délier le faux du vrai.
Sources : République Française / G7 / Union Européenne / Le Monde / Décodex / MIT Media Lab / Sciences Advances / Médiamétrie / CHEQ / Université de Baltimore / Université d’East Anglia / ONU / Université Paris III / SAFE / OTAN / Ministère français de l’Intérieur / Ministère britannique des Affaires étrangères / Washington Post / OMS / France Info / Le Figaro / Europe 1
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