Michel Barnier, l'homme de la situation ? Décryptage d'une nomination inattendue.
- Noé Renard
- 5 sept. 2024
- 4 min de lecture
Après plus de 8 semaines sans gouvernement, Emmanuel Macron s’est enfin décidé. C’est Michel Barnier qui a été nommé Premier ministre, en ce début d’après-midi. Une décision importante, mais finalement pas si attendue ?

Les Jeux olympiques et paralympiques ont animé la vie française depuis la fin juillet et ont détourné tous les regards. Une pause politique qui a permis à un pays de se retrouver plus uni que jamais en soutien à ses athlètes, cette « trêve politique » qu’introduisait le président le 22 juillet dernier semble avoir laissé la France reprendre son souffle.
Mais au crépuscule de ces compétitions internationales, la tension est de nouveau au plus haut. Depuis plusieurs jours, se relayaient à l’Élysée les prétendants à Matignon ainsi que les représentants des forces politiques et parlementaires. Une multitude de noms ont circulé dans les médias, de Bernard Cazeneuve (ancien Premier ministre PS) à Xavier Bertrand (président LR des Hauts-de-France) en passant par des profils plus techniques comme celui de Thierry Beaudet, président du CESE.
8 semaines de négociations, de discussions, de jeux d’influence. Tous y ont participé, mais sans majorité à l’Assemblée, le choix été plus que compliqué.
Pour choisir le successeur de Gabriel Attal, le Président a sondé toutes les forces d’opposition pour connaître quel Premier ministre aurait le moins de chance de tomber à l’issue d’une motion de censure.
Bernard Cazeneuve, pourtant longtemps annoncé comme le favori pour Matignon, n’aurait pas été soutenu par le Parti socialiste. De l’autre côté, le Rassemblement national aurait refusé de donner sa confiance à un gouvernement Bertrand. C’est pour cela que des profils plus techniques, moins ancrés dans le paysage politique, cachés derrière de grandes institutions françaises, ont pu être approchés. Le profil de Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental, dont le nom a récemment fait du bruit, n'a pas su convaincre une majorité de parlementaire.
Ce jeudi, le président Macron a donc créé la surprise en nommant Michel Barnier à la tête du gouvernement. Son nom n’avait que très peu été évoqué ; seuls quelques soupçons alors qu’il dînait ce mercredi soir avec le Chef de l’État. Bien qu’issu du parti Les Républicains, pourtant arrivé 4e aux dernières élections, le nouveau Premier ministre affiche un profil au juste-milieu entre politique et technique.
D’abord élu à 22 ans au Conseil départemental de Savoie en 1973, il rejoint rapidement les bancs de l’Assemblée en 1978. Il en est d’ailleurs le plus jeune député.
Il conserve ses engagements locaux et devient ministre de l’Environnement puis ministre délégué aux Affaires européennes entre 1993 et 1997 sous Jacques Chirac.
Après un court passage au Sénat, Michel Barnier est nommé Commissaire européen à la Politique régionale. Encore successivement ministre des Affaires étrangères (2004-2005) puis de l’Agriculture et de la Pêche (2007-2009), sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, il affiche une carrière politique chargée et complète à tous les niveaux.
Commence pour l’homme d’État une carrière plus technique lorsqu’il rejoint de nouveau les instances européennes. Il est élu député européen, mais rapidement, il quitte Strasbourg et rejoint la Commission européenne à Bruxelles. En 2010, il est, en effet, nommé Vice-président de la Commission européenne, Commissaire européen au marché intérieur et aux services. Il travaille durant 4 ans au sein de l’exécutif européen avant de mener les négociations du Brexit avec le Royaume-Uni à partir de 2016. Sa principale mission a été de préparer et de discuter les conditions de sortie du pays de l’Union européenne.
Habitué aux négociations de longue haleine, Barnier pourrait convaincre mesure par mesure pour construire des majorités variées, adaptées aux besoins. Son attachement à l’Europe, reconnue en France comme à l’international, pourrait aussi incarner une réponse aux résultats des élections européennes ayant porté le Rassemblement national en tête.
En 2021, il était par ailleurs candidat à la primaire de la droite pour la présidentielle. Celle-ci fut remportée par Valérie Pécresse.
Aujourd’hui, sa nomination en tant que Premier ministre fait réagir. À gauche, c’est un sentiment d’indignation qui ressort. Fabien Roussel, Premier secrétaire du Parti communiste français, parle d’un « bras d’honneur aux Français ». Un sentiment partagé par Marine Tondelier (EELV), Olivier Faure (PS), et Jean-Luc Mélenchon (LFI). Ces partis, qui s'étaient unis sous la bannière du Nouveau Front Populaire, avaient proposé Lucie Castets, Haute-Fonctionnaire à la ville de Paris, pour Matignon. Un profil rapidement écarté par le Président Emmanuel Macron, pour diverses raisons. Celle-ci menaçant de nombreuses mesures macronistes, mais aussi, car une motion de censure à son encontre était inévitable.
Quant à lui, le Rassemblement national, qui semble avoir joué un rôle majeur dans la décision d’Emmanuel Macron, dit attendre le discours de politique générale du nouveau Premier ministre afin de savoir si oui ou non, ils le censureront.
Enfin, la majorité présidentielle semble divisée devant la nomination d’une figure de la droite à Matignon. Des « exigences sur le fond » sont demandées par Renaissance, qui ne votera pas « automatiquement » une motion de censure, mais qui attend des efforts de la part de Michel Barnier.
Ce dernier est tout de même bien évidemment soutenu par des figures de la droite, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, David Lisnard, … et remporte la confiance d’influents chefs de parti comme Édouard Philippe : « Nous serons nombreux à l’aider ».
Chargé de former un "gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français", Michel Barnier prend ses fonctions dans un contexte inédit. Sa nomination à Matignon marque un tournant inattendu dans la stratégie d'Emmanuel Macron. En choisissant une figure expérimentée, à la croisée des chemins entre politique et technique, le Président semble vouloir jouer la carte de l'équilibre dans un paysage politique fracturé. Cependant, ce choix ne fait pas l'unanimité, et le défi qui attend le nouveau locataire de Matignon est immense : réussir à rassembler une majorité dans une Assemblée divisée, tout en répondant aux attentes des Français. Seuls les votes de motions de censure pourront dire si Barnier aura réussi à apaiser les tensions et à fédérer. Dans le cas échéant, sa déchéance ne tardera pas.
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